Nouvelles de nos abeilles et de leur environnement (29/10/2022)

Pesticide Paradise

Sous ce titre provocateur « Le paradis des pesticides: comment l’industrie et des officiels ont protégé les pesticides les plus toxiques contre une politique favorable à l’agriculture durable », PAN Europe vient de publier en septembre 2022 un rapport particulièrement interpellant concernant l’évolution de l’utilisation des pesticides dangereux pour la santé humaine et l’environnement dans l’agriculture européenne. Ils sont à l’origine de cancers, de maladies cardiaques et de malformations congénitales.

Ce rapport montre comment la législation européenne qui visait à réduire puis à supprimer progressivement l’usage des pesticides les plus dangereux et à le remplacer par des alternatives plus saines a été détournée par l’influence de l’industrie sur sa mise en œuvre concrète et n’a jamais été appliquée; elle montre aussi que les résidus de ces pesticides trouvés dans les productions agricoles ont même très significativement augmenté en une dizaine d’années, en contradiction avec les statistiques officielles de ventes de ces produits.

PAN, c’est le ‘Pesticide Action Network‘, un réseau d’ONG, d’institutions et d’individus qui œuvrent pour la promotion et l’adoption d’alternatives et de pratiques agricoles écologiquement saines et durables pour remplacer l’utilisation de pesticides dangereux. PAN Europe en est le centre régional Européen.

La règlementation Européenne

En 2009, le principe de substitution était ajouté à la règlementation Européenne sur les pesticides; c’est un principe directeur qui exige que les substances les plus dangereuses, identifiées comme Candidates à Substitution (CàS), soient remplacées dès que possible par les alternatives plus sûres, chimiques ou non-chimiques. Les Etats Membres sont tenus d’assurer que les autorisations nationales des CàS soient strictement limitées aux cas où il n’existe pas d’alternatives valables. Dans ce but, les Etats Membres doivent systématiquement mener des évaluations comparatives des CàS et de leurs alternatives avant d’accorder ou de rejeter leur agrément national; en cas d’autorisation, une réévaluation périodique est nécessaire.

Ce principe de substitution se voulait à la base d’un cercle vertueux d’amélioration permanente, remplaçant progressivement les substances les plus dangereuses par d’autres qui le sont moins, au fur et à mesure que l’efficacité de ces dernières serait prouvée.

Cette règlementation de 2009 fixait également un autre principe, celui de la prévention de la résistance: « Une substitution ne sera appliquée que là où d’autres méthodes ou la diversité chimique des substances actives est suffisante pour minimiser l’occurrence de résistances dans l’organisme visé. »

Annoncée en 2020 et adoptée en octobre 2021 dans le cadre du Pacte Vert, la nouvelle stratégie « De la fourche à la fourchette » a pour but de développer un système alimentaire durable, permettant de garantir la sécurité alimentaire et l’accès à des régimes nutritionnels sains  et de lutter contre le réchauffement climatique. Entre autres résolutions, elle fixe notamment un nouvel objectif de réduire de 50% l’usage et le risque des pesticides d’ici 2030.

La mise en œuvre: l’OEPP & le document de guidance; les législations nationales

Il a fallu plus de 5 ans pour qu’une première liste de 77 substances Candidates à Substitution soit approuvée en 2015; il y en a actuellement encore 53.

Pour que les états membres puissent mener leurs évaluations comparatives, il fallait d’abord que les principes établis par la règlementation soient traduits en critères concrets et opérationnels: c’est le rôle du Document de Guidance, dont la première version fut publiée dès 2011.

Mais au lieu d’être confiée à une institution européenne soumise à des règles déontologiques strictes d’indépendance, d’objectivité et de transparence, comme l’EFSA ou l’ECHA, sa rédaction fut confiée à l’OEPP, Organisation Européenne et Méditerranéenne pour la Protection des Plantes, qui se définit comme « une organisation internationale responsable pour la coopération et l’harmonisation dans la protection des plantes, dans la région Europe-Méditerranée ». Une de ses principales activités est de fixer des standards pour les mesures phytosanitaires et les produits de protection des plantes.

Ses membres sont les gouvernements de la région. Son management est organisé autour d’un Conseil et d’un Comité Exécutif, composés de délégués de haut niveau des pays membres. Des délégués d’autres pays, ou de fédérations sectorielles peuvent participer aux travaux du Conseil comme observateurs permanents, sans droit de vote. Les travaux de définition des standards sont réalisés par des groupes de travail composés d’experts; ceux-ci peuvent être désignés par les membres aussi bien que par les observateurs permanents. Il faut rajouter à cela que les recettes budgétaires de l’OEPP sont constituées des contributions annuelles des Etats membres et de toutes autres recettes approuvées par le Conseil ou par le Comité exécutif  (l’OEPP ne publie pas le détail de ses dépenses ni l’origine de ses recettes dans ses rapports annuels), et que les frais de déplacement des membres des groupes de travail ne sont pas payés par l’OEPP: l’OEPP a ainsi tissé des liens importants avec l’industrie, bien représentée dans les groupes de travail.

Le Document de Guidance de l’OEPP donne clairement la priorité à la prévention de la résistance et aux alternatives chimiques, auxquelles il donne une quasi exclusivité au détriment des alternatives non-chimiques, biologiques ou mécaniques.

Ce faisant, le Document de Guidance en est venu à favoriser les substances chimiques, au lieu d’éliminer progressivement les plus dangereuses: au plus élevé le risque de résistance, au plus grande doit rester la liste des substances chimiques autorisées : au MINIMUM 2 pour un risque de résistance faible, 3 pour un risque moyen, 4 pour un risque élevé !

Ces recommandations ont souvent été implémentées telles quelles par les Etats Membres dans leur législation nationale, parfois en exigeant encore plus de diversification des substances actives.

Le principe de substitution en a été complètement bloqué !

Une expérience précédente avec l’OEPP: le cas des néonicotinoïdes

La Commission Européenne avait pourtant déjà eu une expérience malheureuse avec l’OEPP, qui concerne particulièrement les apiculteurs. En 1991, elle avait endossé le standard OEPP concernant le néonicotinoïdes, avec toutes les conséquences que l’on connait sur les mortalités d’abeilles. Il a fallu attendre 2013 et la publication d’un nouveau standard par l’EFSA, l’Autorité Européenne pour la Sécurité Alimentaire, pour que ce scandale prenne fin.

Les résidus de pesticides CàS dans les fruits: encore en augmentation

Les résidus de Candidats à Substitution augmentent donc encore malgré qu’ils auraient dû être progressivement éliminés; l’exemple des poires, pour lequel la Belgique fait office de champion européen: 49% des échantillons en 2020 (71% en Belgique) contre 26 en 2011.

Ces statistiques proviennent des rapports annuels officiels de l’EFSA.

Elles sont en contradiction avec les statistiques publiées par la Commission, basées sur les rapports de ventes des producteurs, et qui, elles, montrent une réduction significative des ventes des pesticides.

Il semble que le cadre légal pour la collection de ces données soit faible: Eurostat reçoit des données incomplètes et insuffisamment précises. Des réformes sont en cours de négociation, mais les oppositions et blocages sont nombreux.

L’analyse objective des résidus montre donc la faiblesse des statistiques officielles d’usage des pesticides.


Pesticide Paradise résumé exécutif (en français – PDF)

PAN-EUROPE: Pesticide Paradise – télécharger le rapport complet (en anglais)

PAN-EUROPE: Forbidden Fruits – télécharger le rapport (en anglais)

European Commission: Trends in the use and risk of chemical pesticides and the use of more hazardous pesticides (en anglais)

Le site web de l’OEPP (en anglais)

A propos Michel Fraiteur

Apiculteur amateur depuis 1977. Président de la SRAWE
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