Dans sa note du 21 octobre, Oncle Max faisait référence à une publication récente faisant état d’un déclin de plus de 75% de la masse des insectes volants; la presse y a aussi fait écho.
http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0185809
L’importance de cette publication ainsi que la qualité de sa méthodologie méritent que nous nous y attardions.
L’étude a été réalisée par la Société Entomologique Krefeld, en Allemagne de l’Ouest; elle a porté sur 27 ans, de 1989 à 2016 ! (Hallmann CA, Sorg M, Jongejans E, Siepel H, Hofland N, et al. (2017) ). Elle est parfaitement extrapolable aux autres pays Européens qui ont un environnement similaire, notamment la Belgique.
La technique utilisée est celle de la trappe Malaise: c’est une sorte de tente-piège qui permet de faire des collectes quantitatives de la biomasse des insectes volants capturés de façon précise et répétitive.
Ces trappes ont été posées dans 63 localisations, toutes situées dans des réserves naturelles ou des zones bénéficiant d’un statut de protection. Ces réserves sont cependant de taille limitée comme fréquemment dans le paysage fragmenté de l’Europe de l’Ouest, et le plus souvent entourées de zones agricoles.
Quelques localisations ont fait l’objet d’une analyse durant plusieurs années mais aucune localisation n’a fait l’objet de captures durant plus de 4 ans afin de ne pas perturber l’entomofaune locale. Cette méthode ne permet donc pas de juger de l’évolution individuelle de chaque localisation mais elle prise comme une analyse globale de l’évolution de la biomasse des insectes.
Les trappes étaient installées au printemps, en été et au début de l’automne; en tout, 1503 échantillons ont été prélevés. Entre 1989 et 2016, un total de 53,54 kg d’invertébrés a ainsi été collecté pour une période d’ouverture totale des trappes de 16.908 jours (176 jours en moyenne par trappe et par année).
Comme le changement climatique est un facteur bien connu du déclin des insectes, l’étude intègre aussi les données de 169 stations météo situées dans un rayon de 100 km des localisations: températures, vitesse du vent, pluie et humidité relatives, durée d’ensoleillement, nombre de jours de gel durant l’hiver précédent, …
La collecte des données est complétée d’un inventaire régulier des plantes dans un rayon de 50 mètres autour des trappes, et d’une analyse de photos aériennes prises au début et à la fin de l’étude afin de caractériser l’évolution du paysage autour des trappes.
Cette collecte des données a été suivie d’un long travail statistique qui ferait la joie de tout statisticien (je recommande du reste cette étude comme travail personnel à tout étudiant en statistique ou biologie!). Pour ma part, j’avoue ne pas y comprendre grand-chose: j’essaie seulement de comprendre de quoi il s’agit.
Les imperfections de la méthode doivent d’abord être corrigées pour présenter des résultats comparables (p.ex. périodes de prélèvement variables) et l’influence des aléas climatiques doit être lissée.
On peut alors dégager la tendance globale d’évolution: elle marque une nette baisse de la masse des insectes sur la période: perte moyenne de la biomasse de 76%, avec une pointe à 82% au milieu de l’été ! (attention, l’échelle du graphique est logarithmique: on a un pas de 10 dans le haut du graphique en début de période, et un pas de 1 ou 2 plus bas dans le graphique, en fin de période)
Cette perte dépasse largement toutes les estimations faites jusqu’ici; de plus, elle affecte tous les insectes et non quelques espèces spécialement vulnérables !
S’en suit une analyse approfondie pour essayer d’identifier les causes de ce déclin spectaculaire.
Si une augmentation de 0,5°C de la température moyenne a été observée sur la période d’analyse, elle n’a pas eu l’effet généralement attendu, c’est à dire une augmentation de la masse des insectes. Le facteur climatique est donc éliminé.
L’évolution du paysage ne semble pas non plus en cause: l’évolution montre une augmentation de la surface forestière et une baisse de la surface agricole; or c’est dans les zones forestières que la baisse de la masse des insectes est la moins marquée.
L’évolution de l’habitat montre une baisse progressive du nombre d’espèces végétales dans tous les types de plantes: herbes, arbustes, arbres. L’importance de cette baisse ne semble cependant pas justifier la chute de près de 80% de la biomasse des insectes.
Les auteurs concluent donc que l’intensification des méthodes agricoles (usage des pesticides, labourage tout au long de l’année, usage accru des fertilisants et fréquence des mesures agronomiques) sont une cause hautement probable de ce déclin.
Les zones protégées (qui sont des sources d’insectes) seraient drainées et affectées par les zones agricoles avoisinantes (qui seraient des pièges écologiques)
Conclusion: cette étude montre des résultats jamais atteints dans la disparition des insectes; la perte majeure et jusqu’ici non reconnue de la biomasse des insectes exige de nouvelles évaluations de l’impact des pratiques agricoles; ce déclin peut avoir des conséquences en cascade sur l’environnement.
Il y a donc une nécessité urgente de découvrir les causes de ce déclin, son extension géographique, et de comprendre toutes les conséquences de ce déclin pour nos écosystèmes et les services écosystémiques.
Ceci est d’autant plus vrai que les observations ont été faites dans des zones protégées