Note d’Oncle Max – 19/11/2022
L’automne et l’hiver sont des moments privilégiés pour les conférences, débats et notre réflexion sur nos conduites des colonies. Pour alimenter cette dernière, je vous recommande de relire d’abord l’excellent article de Janine Kievits dans la dernière revue AenW (« La diversité biologique des colonies, un enjeu sanitaire »).
Etant plus praticien que généticien, je vous livre ma réflexion en parallèle de mon expérience professionnelle passée. Celle-ci a en quelque sorte façonné mon intuition et guidé la gestion de mes colonies d’abeilles (depuis 1992). Pour rappel, à la base je suis un économiste et non un agronome ou biologiste… devenu en 30 ans de pratique un agro-économiste de terrain.
Après mon expatriation en Afrique, j’ai travaillé de 1991 à 2008 pour un bureau d’études en agronomie tropicale spécialisé en élevages, agro-pastoralisme, développement rural et santé animale (pour les PVD). Ce bureau d’études faisait partie d’un groupe familial qui possédait depuis 1920 au Congo entre 40.000 et 50.00 têtes de bovins Ndama (de Guinée) – bovin viandeux – sur plus de 300.000 hectares dans le Bas-Congo et le Bandundu. Ils avaient tenté, après 1945, les techniques d’insémination artificielle avec des races plus performantes et échouèrent. Avec un bon sens pratique et économique, ils se tournèrent vers la sélection massale de cette race résistante à la trypanosomiase (mouche tsé-tsé). Qu’est-ce la sélection massale ? Tout simplement le procédé inverse des traditions africaines***, c’est à dire sacrifier les moins bonnes têtes pour ne garder que les meilleures avec, en plus, un petit troupeau ultra sélectionné avec les meilleures génisses et les meilleurs taureaux pour produire des super géniteurs de la race (pour développer de nouveaux projets).
Avec mes premières colonies, en ayant des « zinneke » c’est dire pas de pures Buckfast, noires ou Carnica mais un doux mélange local d’hybrides gréziennes et ne souhaitant pas me lancer dans l’insémination artificielle ni dans l’élevage de reines, j’ai suivi la même pratique de sélection qui demande observations et persévérance. Au fil du temps en comprenant mieux la génétique des abeilles, j’ai été conforté dans mon choix initial qui n’était pas en contradiction avec ce que décrit, par exemple, Janine Kievits. En fait, sans m’en rendre directement compte, je me suis orienté plutôt dans le développement de « ruches à (bons) mâles ».
Comme les abeillauds (mâles ou faux-bourdons), tous fils identiques de la reine de la colonie, ont hérité seulement des caractères de celle-ci car issus d’œufs non fécondés, il est très intéressant d’avoir ces bons abeillauds dans son rucher pour participer à la fécondation des futures jeunes reines des colonies voisines. Avec les années, en soustrayant progressivement les moins bonnes colonies (donc avec les moins bons mâles), petit à petit, même avec la diversité génétique, on améliore la qualité de son rucher d’année en année. C’est un travail patient. Pour cette raison, je garde très rarement (exceptionnellement) des essaims sauvages récoltés hors du périmètre de mon rucher. Mais mes critères principaux sont d’abord la résistance aux maladies et parasites (varroas), la moindre agressivité, la sobriété et l’adaptation à l’environnement du rucher.
Certains me taxeront d’eugénisme, mais vu la complexité génétique des abeilles, on en fait beaucoup moins qu’avec les élevages de nos animaux domestiques où certains éleveurs (de gros bétail ou de chevaux) me disent qu’il est de plus en plus difficile de trouver des géniteurs qui ne sont pas des parents proches de leurs génitrices, avec toutes les conséquences de la consanguinité et du manque de diversité génétique. Par contre, les apiculteurs qui se lancent dans l’insémination artificielle de jeunes reines sélectionnées par un seul mâle (cfr abeilles VSH) doivent être conscients du problème sous-jacent. Certains le sont et sont déjà passés à l’insémination avec plusieurs mâles.
C’est avec impatience que nous attendons l’expérience de Pierre qui a rejoint notre comité de la SRAWE pour nous dévoiler l’aspect pratique d’élevages de reines, même si je maintiens ma pratique d’élevage d’abeillauds.
Bonne relecture de l’article de Jeanine Kievits et bonnes réflexions.
*** PS : Pour la petite histoire, après avoir été mandaté par la BAD (Banque Africaine de Développement) et par l’UE pour la création de grands élevages de plusieurs dizaines de milliers de bovins Ndama principalement en Côte d’Ivoire et au Gabon, entre 1972 et 1987 (+/- 12 ans de développement par site), seulement 5 ans après s’être retiré (contractuellement) de la gestion, les nationaux avaient repris leurs traditions de sacrifier les meilleures têtes en priorité et ces élevages se sont effondrés. Ceci pour démontrer qu’un effondrement est beaucoup plus rapide qu’un bon développement….. même en apiculture.